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Interactions Santé - Décembre 2019
"Compétences psychosociales : il faut tout un village pour faire grandir un enfant !"

« Pour apprendre, il faut prendre en compte les dimensions cognitives, mais aussi sociales et affectives »


Entretien avec Xavier LEVET, maître formateur, directeur de l’école élémentaire Chabestan à Die
Co-rédacteur du livret « Renforcer les compétences psychosociales à l’école élémentaire »


En quoi consiste le développement des compétences psychosociales (CPS) en école élémentaire ?
Cela fait partie de la mise en œuvre de l’enseignement moral et civique, au programme de l’Education nationale. Il s’agit de permettre aux élèves de conscientiser certains mécanismes qui leur permettent de vivre en collectivité. Et par là-même, de permettre aussi aux enseignants de prendre conscience de ces mécanismes.
Concrètement, cela signifie prendre conscience de ce qu’on a fait et reformuler ce que l’on a vécu. Quand, par exemple, on fait mettre les enfants en rang du plus petit au plus grand, c’est leur permettre de comprendre comment ça s’est passé : est-ce qu’il y a eu des chefs ? Quelqu’un a-t-il eu le rôle de commandant ? Est-ce que je me suis senti à l’aise ? Est-ce que ça m’a énervé que celui-là soit plus grand que moi ? - Ce sont toutes ces choses que l’on ne dit pas d’habitude, et que là, on va dire.

Est-ce une façon pour régler certains problèmes à l’école ?
Il ne s’agit pas de répondre à des problèmes, mais de les anticiper pour qu’ils n’arrivent pas, dans une optique de prévention et d’éducation à la santé. Le piège serait d’imaginer qu’en cas de problème ou de violence, grâce à un travail sur les CPS, on va retrouver la paix. Il faut d’abord reposer un cadre pour que les élèves se retrouvent dans un environnement favorable leur permettant de s’écouter les uns les autres, avant de développer les CPS.

Quel exemple vous a le plus frappé dans la mobilisation des CPS chez les enfants ?
Ce qui m’a frappé, c’est de voir à quel point, quand on laisse les enfants s’exprimer sur ces sujets-là, ils ont des choses à dire. La première fois, ils disent juste se sentir « bien » ou « pas bien », le vocabulaire est assez pauvre. Puis très vite, on arrive à une expression beaucoup plus riche, et donc à une conscience des choses beaucoup plus riche.
Cela leur permet de prendre conscience de ce qui se passe, de se décaler par rapport à la situation et de mieux la gérer derrière. En parlant de quelque chose, on prend de la distance, du recul. En permettant une parole collective, on enrichit le vocabulaire et les ressentis.

Est-ce aussi facile de travailler ces compétences avec les enseignants ?
On a découvert qu’en travaillant sur les CPS des enfants, on était obligés de travailler sur celles des enseignants. Car si les adultes n’en ont pas conscience, cela ne fonctionnera pas avec les enfants. Avec les enseignants, on a vite compris qu’on avait besoin de sortir de la théorie pour aller dans la pratique. On leur a par exemple demandé, comment ils se sentaient, collectivement, équipés sur les CPS. La compétence où ils se sentaient le plus à l’aise, c’était la communication. Au fil du travail, ils se sont pourtant rendu compte que c’était là où cela pêchait le plus car ils avaient une vision de la communication à sens unique. Par exemple, quand ils disaient à un parent « Il y a peut-être un problème de fatigue oculaire chez votre enfant », ils n’envisageaient pas que le parent ne comprenne pas ce qui se passe pour son enfant. Pour eux le message était clair.
La difficulté est que pour les enseignants les CPS sont un concept très ‘mou’. Et ils ne sont pas les seuls à penser cela. On varie entre un regard simpliste et un regard très psychologisant. La première réaction peut être « on le fait déjà, il n’y en a pas besoin ». En abordant les CPS on pose des questions qui ne sont pas du même ordre pédagogique que d’habitude. Il commence à être dans l'air du temps que, pour apprendre, il faut prendre en compte les dimensions cognitives, mais aussi sociales et affectives. Dans la formation pour enseignants, on prend très peu en compte ces deux dernières dimensions. Il faut être explicite sur ce que sont les CPS, c’est-à-dire montrer que l’enseignant incarne une série de compétences mais dans le cadre de son travail uniquement. La difficulté est de dissocier l’aspect personnel de la fonction professionnelle, les enseignants ayant parfois peur d’être mis en cause personnellement. Comme ils mettent de leur cœur dans leur travail, il y a souvent confusion.

Avec ce projet, qu’est-ce que vous avez le plus changé dans votre pratique ?
Ce travail des CPS est une carte de plus dans ma palette d’enseignant. Je peux l’utiliser à certains moments. Par exemple, nous travaillons sur un projet de correspondance entre écoles avec Mayotte. Les autres années les élèves faisaient des cartes d’identité avec des informations très factuelles : « je m’appelle…, j’habite dans une maison, j’ai trois chiens… », etc. Cette année je leur ai fait faire des exercices personnels sur ce qui les met en valeur - « ce que j’aime… quels sont mes points forts… ». Ce sont des choses que je ne faisais pas avant.

Comment conseillez-vous aux enseignants d’aborder le livret « Renforcer les compétences psychosociales à l’école élémentaire » ?
C’est une ressource assez dense qui doit nous nourrir. Il s’agit plus d’une acculturation que d’un guide à suivre de façon injonctive. En le relisant à l’aune de ma pratique de classe (où je cours énormément après le temps !) je me dis que c’est à considérer comme un placard à ouvrir où chacun peut se servir, selon ses envies. L’essentiel, pour démarrer, c’est de s’appuyer sur des notions avec lesquelles on est à l’aise, sur des choses qu’on sait faire (parfois d’une autre manière) pour aller un peu plus loin. Le reste viendra petit à petit.

Propos recueillis par Anne Demotz et Adeline Charvet.

Entretien réalisé pour la lettre Interactions Santé, à propos de recherche intervention sur le développement des CPS des enfants de 7 à 12 ans.
Ce projet a été menée sur 5 ans par l'IREPS ARA et l’équipe de Recherche de l’Espé Lyon 1, en partenariat avec les rectorats de Lyon et Grenoble.
Plus d'infos sur les grands principes de cette recherche intervention



Documents de capitalisation
Renforcer les compétences psychosociales des 7-12 ans dans et hors l'école
Ce document synthétise 5 années d'expérimentation pour développer les CPS chez les enfants de 7 à 12 ans.




Renforcer les compétences psychosociales à l'école élémentaire
Ce document présente l'expérience du territoire de Crest-Aouste (Drôme) menée par la circonscription de l’Education nationale de Crest et l'IREPS ARA.